Après une (courte) nuit de sommeil, on poursuit notre périple aux Rencontres Trans Musicales de Rennes avec Fred de indiemusic.fr. Une première partie de soirée entre l’Étage pour y découvrir Kokomo et Kaviar Special et le 1988 Live Club où le rendez-vous est pris avec Camp Claude, avant de se fondre dans un déluge de festivaliers allumés au Parc des Expositions pour Sau Poler, The Dizzy Brains, Son Little, les magiques Rennais de TotorRo (en formation élargie), la prestation extatique de Vintage Trouble et finir la soirée en compagnie du Canadien Dralms.
Comme prévu, la journée du vendredi démarre sous forte électricité. Rien de bien statique ici : le « power rock » de Kokomo remue dans tous les sens et fait déjà le bonheur d’un large public dans la salle comble de l’Étage, en plein milieu de l’après-midi. Positionnés au bord de la scène pour mieux ressentir la chaleur d’un public qui transpire le même amour du rock, les deux musiciens jouant en symbiose totale, Warren Mutton au chant lead et à la guitare et K20 derrière les fûts, et peintures tribales sur le visage et les bras, font danser les très jeunes comme les plus âgés avec une énergie débordante et hyper communicative. Un jeu musclé se met en place, porté par la voix qui évoque inévitablement un certain Robert Plant, sinon l’envie d’un Jack White alors qu’une atmosphère familiale plein de bienveillance, ainsi que des gimmicks complices et chaleureux, rendent ce duo, déjà fort doué, extrêmement attachant à nos yeux (et à nos oreilles).
Diane Sagnier et ses deux compagnons de Tristesse Contemporaine, Mike Giffts aux machines et Leo Hellden à la guitare lead, portent, quant à eux, la torche enflammée et intacte d’une new-wave pop au sein du projet Camp Claude. Sur des mélodies eighties, minimalistes ou densifiées, bercées par la voix légèrement éraillée de la pétillante et souriante Diane, le charme opère à cœur ouvert. Amenant un supplément d’âme à une musique qui peut vite en manquer et sombrer aussi rapidement dans une mélancolie à laquelle il est difficile de réchapper, le trio parisien joue sa carte charme pour nous laisser tomber dans son délicieux piège. Allant chercher les plus timides par la main pour les ramener au-devant de la scène souterraine du 1988 Live Club, la belle brune aux mèches blondes récolte la sympathie de ceux qui la découvrent. Une parenthèse musicale rafraîchissante dans le cadre des Bars en Trans.
Aucun doute : le psych rock de la West Coast américaine, de Night Beats à Burnt Ones, a décidément bien inspiré les jeunes têtes rennaises de Kaviar Special. Nonchalance, riffs tranchants et éclairs, chant bagarreur et je-m’en-foutisme semblent caractériser le parcours du quatuor, qui évolue sans se poser beaucoup de questions. Entre surf, psych et punk, leur musique a toute la génétique pour provoquer des pogos en chaîne. « Fallait pas venir si nombreux, c’est flippant, mais quand même merci beaucoup », dira l’un des frontmen, l’air désabusé et amusé à la fois. Ambiance. Kaviar Special, dont la musique n’en sera pas forcément aux oreilles de tous, dégage une assurance qui conforte dans l’idée que ces rejetons du punk garage français ont tout intérêt à s’associer d’urgence à leurs cousins nord-américains pour se développer à l’international.
Le Catalan Sau Poler (Pau Soler de son vrai nom) distille avec parcimonie une chillwave toute en langueur et lenteur, aux sonorités cristallines et parfois liquides. Le producteur espagnol, en formule DJ set et casquette sur la tête, a à cœur de livrer une musique minimaliste mais entraînante. Une invitation à danser, sinon un échauffement sans danger, sans risque d’entorse, pour nous réconforter tous ensemble avec l’hiver arrivant dans ces immenses Halls du Parc Expo, investis par les Trans Musicales.
Les quatre rockeurs fougueux débarqués de Tananarive, à Madagascar, n’en peuvent plus d’attendre ce moment : monter sur scène pour cracher à pleins poumons leur vision du punk ! The Dizzy Brains va livrer un live brûlant, emmené par l’époustouflant Eddy, chanteur débordant d’énergie et hurlant, n’hésitant pas à prendre des postures provocantes sinon légèrement (hum hum) ostentatoires en mimant des scènes torrides au contact de sa perche, ou en caressant du bout de la langue son micro. Le groupe malgache, absolument heureux et honoré d’être accueilli en France, nous raconte son quotidien de groupe rock dans un pays où être musicien est un parcours du combattant. Censuré sur son île pour un morceau qui parle, sans déviation, de sexe, le quatuor savourera d’autant plus de le jouer dans un Hall archi bondé pour l’occasion. Une performance rock qui trouvera également son moment d’audace et de folie dans sa reprise des Cactus de Dutronc à la sauce rockabilly. Torse nu ou vêtu du drapeau breton, le charismatique Eddy est décidément l’une des personnages marquants de cette 37e édition des Rencontres Trans Musicales de Rennes.
Homme discret mais brillant, Son Little redéfinit la soul comme d’autres grands noms en ont fait un acte de foi avant lui. Avec un groove tout en langueur qui épouse avec justesse les traits d’une musique provenant de l’âme, le Philadelphien Aaron Earl Livingston délivre ses chansons avec précaution. Malgré cela, la musique de Son Little aura du mal à prendre, en raison d’une présence scénique trop minimaliste. En trio sur l’immense scène du Hall 8, les musiciens ne quittent pas ou peu leurs places respectives. Un voyage intérieur et personnel qui ne se prête pas au cadre, malgré la beauté incontestable des compositions présentées sur son remarquable premier album « Broken Dreams Boulevard ». Un artiste qu’on se plaira cependant à revoir dans des conditions plus intimistes.
Nous avions hâte de découvrir Totorro sur scène, après avoir écouté en boucle « Home Alone », premier album du quatuor rennais. Un groupe singulier, qui s’est construit grâce aux tournées européennes organisées aux côtés de leurs potes de Wank for Peace. Devenu, et c’est amplement mérité, une figure incontournable du post rock hexagonal, au même titre que les Japonais de Toe ou Mono, ou encore les Américains de Caspian, Totorro s’impose sous les feux des lumières blafardes pour porter haut et fort ses émotions intenses et ses constructions instrumentales aussi techniques qu’évocatrices. Il ne fallait pas les manquer non plus aux Trans Musicales, en raison de la présence de trois bons amis venus compléter, à tour de rôle, la formule de quatre à cinq membres, avant de finir le set à sept sur scène : Émile Sornin (alias Forever Pavot) aux claviers, Clément Lemennicier (de Bumpkin Island) à la trompette et Florian Renault (de Wank for Peace et ex-The Forks). Un moment unique et savoureux !
Emmené par l’incroyable Ty Taylor, chanteur-prêcheur au charisme d’un James Brown, d’un Charles Bradley et d’un Lenny Kravitz, Vintage Trouble va livrer un concert absolument phénoménal. Des musiciens en état de grâce à son leader endiablé, tournoyant sur lui-même jusqu’à s’en donner le vertige sans pour autant perdre l’équilibre et emportant, comme la tornade qu’il a provoquée, le Hall 3 tout entier, le quatuor américain a de qui tenir mais, sait surtout y faire pour repousser toujours plus loin ses propres limites. Avec cette rencontre de la soul et du rock dans un seul et même mouvement, dispensée avec une énergie insatiable, Vintage Trouble redouble d’efforts, toujours payants, pour captiver une foule sensible à ses faits et gestes. Tant et si bien que l’euphorie qui se joue au premier abord sur scène aura vite fait d’envahir, telle une vague d’ondes rock positives, les premiers rangs jusqu’au fin fond du très grand Hall. Encore peu connus en France, nul doute qu’après cette prestation mémorable, on entendra parler partout de ces héritiers du rock ! C’est ce qu’on appelle avoir la classe à l’Américaine.
Plus industriel que les versions dépouillées et oniriques auquel il nous avait d’abord habitués, le projet du Canadien Christopher Smith, alias Dramls, surprend au premier abord en live, bien loin d’imaginer que nous allions le retrouver accompagné d’un live band complet pour livrer une musique si personnelle. Difficile alors de retranscrire sur scène la réserve magique de ses compositions les plus délicates, pleines de mesure et de fragilité, de son debut album « Shook ». Un disque qui nous avait émus à maintes reprises à l’écoute du fabuleux « Pillars and Pyre » et de l’éponyme « Shook ». Au milieu de titres tortueux pour un public non averti, le leader introverti, sinon réservé, gagne en assurance au fil des pistes pour finalement livrer une fin de concert plus généreuse en émotions. Il n’y avait peut-être pas, finalement, de quoi en faire tout un Dralms !