Difficile de croire que les 37e Rencontres Trans Musicales se terminent déjà, après ce samedi bien mouvementé, où tout le monde se bouscule au Liberté pour accueillir Lenparrot, Ruben et La Mverte, tandis que le 1988 Live Club danse frénétiquement sur le funk de Bon Voyage Organisation. D’ailleurs, le voyage, c’était un peu le thème de notre dernière soirée, à travers les percussions arides de Imarhan, le reggae transcendant de City Kay et la prestation placide des Thaïlandais Khun Narin’s Electric Phin Band. C’est parti pour le troisième et dernier report de Fred de indiemusic.fr !
Histoire de joindre l’utile à l’agréable, dans le cadre de la conférence donnée aux Champs Libres en plein milieu d’après-midi autour du thème « la création et la performance musicales au temps des machines », animée par le passionnant Thomas Lagarrigue, Binkbeats était invité à clore ce rendez-vous par l’une de ses démonstrations scéniques dont il a le secret. Passé maître dans l’art du « live looping », qui consiste à créer des boucles sonores originales pendant sa prestation, à l’instar de Joseph Arthur, Noiserv ou Bernhoft, le Néerlandais Frank Wienk, originaire de La Haye, va, pendant trois quarts d’heure, délivrer une prestation impressionnante, construite autour d’une cinquantaine d’objets et d’instruments joués, enregistrés, mélangés ou superposés par le biais de son séquenceur. Il en résulte un concert en tous points sublime et récréatif. Sa création éphémère, car jouée en direct, est à la fois émouvante et évocatrice, l’intérêt de la chose étant d’observer la variété d’instruments utilisés pour tenter de recomposer le parcours des séquençages additionnés et démultipliés par ce multi-instrumentiste au sommet de son art.
À quelques encablures de là, avec la fête foraine de décembre pour frontière, c’était à l’Étage que Romain Lallement va se livrer, cœur et âme et sans filin, à un exercice électro pop complexe car minimaliste, honnête et intimiste. Au chant et accompagné aux machines par son partenaire, comme il le nomme très justement, Olivier Deniaud, Lenparrot va capter l’attention du public, d’abord grâce à une présence vocale singulière, complétée d’une interprétation où chaque mot prononcé est vécu à la fois corporellement et intérieurement par Romain. Fruit d’un long travail, sa voix naturellement grave parvient à explorer, sans fausser sa tessiture haute dans les aigus les plus délicats. Un timbre troublant, porté par les atmosphères délicates et mystérieuses délayées par son complice. L’austérité a parfois du bon !
Toujours à l’Étage, en planque derrière des pyramides de tissus dressés sur lesquelles sont projetées des vidéos et les illustrations des titres joués, les deux compères rennais Florian Mona et Yann Chehu bricolent et brodent un patchwork électronique laissant libre court à l’imaginaire. Entre ambient et musique expérimentale, marqué et massé par les vibrations des ultra basses, Ruben déroule le tapis d’une musique filiforme et immatérielle, aussi dansante que contemplative. Une vraie curiosité et un parti-pris esthétique osé qui aurait toute sa place dans une galerie d’art ; contemporain, de toute évidence.
Pour conclure la longue série de concerts à l’Étage qui aura accueilli, pendant trois jours, pas moins de onze projets, l’honneur revient à Alexandre Berly de lancer le bouquet final. Libérant une musique urgente et assassine aux beats cisaillés et incisifs, La Mverte bâtit, avec férocité et une agressivité toute relative, sa vision moderne d’une techno new-wave noire et abyssale. L’ancien claviériste de son pote Yan Wagner va nous offrir, généreusement, un set à la violence instrumentale mais terriblement pulsionnel, quand son chant sévère croise le regard possédé de son public. Pris par le virus, nous nous mettons nous aussi à taper du pied, à hocher la tête en rythme comme pour approuver la sanction électronique dispensée par le producteur parisien. Il n’en faut pas plus pour que le corps tout entier suive le mouvement sans plus rien contrôler. Nous errons désormais dans les recoins ténébreux d’une musique magmatique qui envahit nos bronches et coule dans nos veines pour réchauffer et brûler nos corps en transe. Furieusement jouissif !
L’assouf (réunion du blues, du rock et de la musique traditionnelle touareg) joué par les membres d’Imarhan nous entraîne sur les routes ensablées du désert, pour rejoindre Tamanrasset, capitale des Touaregs algériens modernes. Sur des percussions et rythmiques lentes et de longs jeux d’accords de guitares, Iyad Ag Ibrahim et ses pairs racontent, à travers cette musique très marquée par les voyages, dans le sillage de leurs cousins maliens de Terakaft et Tinariwen, l’histoire de la jeune communauté Kel Tamashek. Un concert dépaysant mais qui pourra laisser une impression de déjà vu et entendu pour tous ceux qui, comme nous, ont déjà eu la chance de goûter en live au desert rock malien.
Alors que le concert des nomades algériens touche à sa fin, nous nous dirigeons impatiemment vers le Hall 9 qui accueille le jeune prodige de la house, Darius. Quelle ne fut pas notre surprise de le retrouver devant une foule juvénile déjà serrée et amassée contre les barrières, pour chiller, s’ambiancer et s’enjailler au long d’un DJ set marathon de deux heures. Plutôt que de livrer d’abord ses propres compositions, -qui viendront plus tard dans le set-, et c’est là notre plus grand regret car le temps joue contre nous quand les concerts se chevauchent sur les Trans, le Bordelais Terence Meunier aura préféré initier son set par une sélection de sorties entre house, soul, funk ou electronica qui lui servent de référence. Nous qui nous attendions exclusivement à redécouvrir sur scène des extraits de ses dernières auto-productions, le sentiment dominant reste la frustration, plus que la déception.
Nouveau nom sur toutes les bouches quand on parle de reggae français, City Kay est devenu en quelques mois, depuis son parcours remarqué au dernier Printemps de Bourges, l’une des performances à voir absolument sur scène. Captivant d’un bout à l’autre d’un set conscient, varié et énergique, le projet rennais, emmené avec conviction par le toaster Jay Ree, ne déçoit jamais. Que City Kay s’inscrive par moment dans l’héritage du reggae jamaïcain ou apporte de nouvelles couleurs, électroniques ou festives, au genre musical, son propos reste militant et résistant, et trouve bon accueil auprès des festivaliers qui envahissent tous les recoins de l’immense Hall 8.
Venu tout droit de Thaïlande, c’est tout sourire (un bien précieux) que les six membres du Khun Narin’s Electric Phin Band se présentent au public. Après un début de concert empreint de sérénité, la formation, emmenée par son leader Khun Narin jouant du phin (sorte de luth électrique à trois cordes), va livrer pendant plus d’une heure un grand bœuf psych rock sans discontinuité et qui évolue entre emportement, douce folie et méditation instrumentale. Les six musiciens, de tous âges, des jeunes aux soixantenaires, et ayant de la folie et de l’énergie à revendre, vont jouer un set aux motifs entêtants et dépaysants, qui nous évoquerons par moment un parallèle instrumental avec le concert de Imarhan quelques heures plus tôt. Une thérapie du bonheur grâce à une musique contagieuse !