HYRO DA HERO – Birth, School, Work, Death

Chronique

Qu’aurais-je écouté comme musique si j’avais eu 15 ans durant la première décennie du XXIème siècle ? A chaque fois que je me pose la question, la réponse est sans appel : je n’aurais tout simplement pas écouté de musique ! Je me serais contenté des jeux-vidéos et de l’alcool, du cinéma et des filles qui m’ignorent. Tout au mieux, j’aurais fait semblent d’écouter des groupes qui ne m’auraient pas parlé, et par dépit, dans l’incapacité de trouver les émotions recherchées (des émotions primaires et adolescentes), je me serais réfugié chez les Libertines ou chez Block Party. Les groupes à mèches m’auraient surement fait rire et peut-être me serais-je laissé entrainer au Gibus. En tout cas, je n’aurais écouté ni métal, ni rap français, ni fusion (comment appelait-on déjà la musique jouée par les Red Hot Chilli Peppers ?), je n’aurai pas découvert le hardcore, et encore moins le post-punk. Non définitivement, je n’aurai jamais été amené à écouter de la musique. Après ça n’aurait pas été bien grave ; la vie serait juste passée autrement : je serais devenu un fluo kid et j’aurai eu foi en Ed Banger.

En 2011, Hyro Da Hero sort « Birth, School, Work, Death », et c’est un son que comprend le gamin qui est en moi, celui qui aimait les Beastie Boys et les Deftones, celui qui ne rechignait pas à sauter bêtement dans la fosse. Le groupe appelle ça du « Gangsta Rock », mais il faut se rendre à l’évidence : 15 ans plus tôt, on aurait tout simplement parlé de fusion. Oh pas de là fusion à la Limp Bizkit ou comme celle de tous ces blancs qui pensaient que rapper n’était qu’un concept, non de la fusion comme celle de Rage Against The Machine ou de Cypress Hill lorsque les gars Fear Factory venaient leur prêter main forte.

Hyro Da Hero a commencé en posant son flow sur des samples de Refused, et autres groupes aux rythmiques riffiques hachés. Mais ce n’a jamais été un metal head qui cherchait à s’encanailler. Toutes ses productions en témoignent : quelles que soient l’orientation prise par les instrus, il provient avant tout du hip hop (« Grudge ») : il en connait la culture et les codes ; il comprend le style ; et s’agace de le voir ainsi mourir. Avec son flow à la Eminem période Slim Shady et ses postures changeantes (il ne détonerait pas aussi bien à côté de Madlib que sur scène avec Jay-Z), il redonne espoir dans un genre qu’on avait estimé mort-né. Le mélange du rap et du rock a toujours eu des relents de vocations prémachées : c’est une musique inventée sur le papier qui n’est que rarement crachée par nécessité. On se demande alors comment des chansons comme « F**k You (Say It to Your Face) » font pour mélanger les genres si naturellement ; et il suffit de réécouter les récentes piètres tentatives de Sage Francis pour décupler l’étonnement.

Une première réponse se trouve sûrement dans le groupe qui est la colonne vertébrale de Hyro Da Hero : Paul Hinojos (de At The Drive In, Sparta et The Mars Volta) à la basse, Cody Votolato and Mark Gajadhar (le guitariste et le batteur de The Blood Brothers), le tout complété par Daniel Anderson, le multi-instrumentiste du duo Idiot Pilot ! On comprend mieux alors que des titres comme « Sleeping Giants » crachent des riffs à la fois tortueux et ultra-catchy ! Ca harangue, ça vibre et seules les années qui ont passé empêchent de se jeter dans la gueule du loup ; soyons forts, soyons adultes, retenons-nous de nous battre ; laissons les pogos à ceux qui ont leurs rages d’enfants à extérioriser.

Alors bien sûr, et même si l’on préfère ça à certains des clichés du hip hop moderne, l’esprit de rébellion et les prises de positions politico-sociales manquent de maturité ; les « Fuck You » sont scandés à tout va ; et même Zack de la Rocha doit aujourd’hui en rire un peu. Mais au moins, Hyro Da Hero ne cherche pas à montrer ses muscles et encore moins à rentrer dans la battle : au combat de coqs, il préfère se mettre en marge par un concis « If rappers don’t like me, I don’t give a fuck ». Ce qui l’intéresse, c’est la culture hip hop à l’ancienne, loin des strass et paillettes.

Sans surprise, « Birth, School, Work, Death » est produit par Ross Robinson : non seulement il connait déjà parfaitement le son et les musiciens (il a produit At The Drive-In,  The Blood Brothers et Idiot Pilot, et l’on imagine alors comme le line-up a été mis sur pied), mais surtout il n’y a pas plus désireux que lui de montrer que le mélange entre hip hop et rock a (encore ?) du sens. S’il est bien l’homme de la situation (à minima celui qui connait le mieux le terrain de jeu) et si l’album ne pèche jamais par son absence de gros son, on aurait pourtant préféré un travail plus instinctif, plus proche de sa collaboration avec Amen ou du son compressé de Glassjaw. Mais peu importe, au final, « Birth, School, Work, Death » arrive déjà, au travers d’hymnes comme « Ghetto Ambiance », à recrédibiliser un genre auquel le ridicule collait au corps.

Qu’aurais-je écouté comme musique si j’avais eu 15 ans durant la deuxième décennie du XXIème siècle ? Assurément Hyro Da Hero.

 

À propos de l'auteur :
Benjamin

Cofondateur de Playlist Society (revue culturelle et maison d'édition), Benjamin est le responsable éditorial de Société Pernod Ricard France Live Music depuis 2008. En 2015, il a publié "Le renoncement de Howard Devoto", une bio-fiction, à la gloire du fondateur des Buzzcocks et de Magazine, qui retrace la genèse du mouvement punk en Angleterre.

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